
Méthodologie complète de restructuration et de centralisation de la fonction achats en établissement de santé
D’une organisation éclatée à une fonction achats structurée
Contexte : Une fonction achats éclatée
À l’Institut Paoli Calmettes (IPC), établissement employant plus de 1800 collaborateurs dont 275 praticiens, la fonction achats présentait une organisation caractéristique de nombreux établissements de santé.
Les achats étaient gérés de manière décentralisée : la Direction des Systèmes d’Information (DSIO) gérait les achats informatiques. La Direction des Services Techniques (DST) pilotait les achats techniques et travaux. Tandis que la Direction des Achats assurait les achats médicaux et généraux.
Cette organisation décentralisée générait plusieurs difficultés opérationnelles :
- Absence de veille fournisseurs organisée
- Processus achats non optimisés et hétérogènes entre les secteurs
- Absence de stratégie achats définie et formalisée
- Vision fragmentée des dépenses de l’établissement
- Opportunités de mutualisation non exploitées
L’équipe achats, composée de profils majoritairement juridiques (marchés publics), disposait de compétences achats à renforcer pour accompagner les chantiers structurants de l’établissement.
Objectifs du projet de restructuration
Face à plusieurs projets stratégiques nécessitant une fonction achats performante, l’instance dirigeante de l’IPC a décidé d’engager une transformation en profondeur de son organisation achats. Les objectifs définis étaient multiples :
Professionnaliser la fonction achats en développant les compétences métier, en formalisant les processus
Centraliser les achats en définissant une organisation cible permettant une vision consolidée des dépenses et une coordination renforcée entre les directions fonctionnelles.
Structurer le pilotage de la performance.
Le projet : 18 mois de transformation
En juillet 2023, l’établissement lance un projet de restructuration de la fonction achats s’articulant autour de trois phases successives :
- Diagnostic approfondi (4 mois),
- Définition de l’organisation cible (2 mois), et
- Accompagnement opérationnel au déploiement (12 mois).
Ce retour d’expérience détaille la méthodologie déployée, les mesures emblématiques réalisées et les facteurs clés de succès identifiés.
MÉTHODOLOGIE DE RESTRUCTURATION EN 3 PHASES
Une approche progressive sur 18 mois
La restructuration de la fonction achats de l’IPC s’est articulée autour de trois phases distinctes, chacune répondant à des objectifs spécifiques et aboutissant à des livrables structurants.
Phase 1 : Diagnostic approfondi de la fonction achats (Juillet – Novembre 2023)
L’établissement a d’abord établi un état des lieux exhaustif de l’organisation existante avant toute préconisation. Cette phase de diagnostic, réalisée sur quatre mois, a consisté à produire cinq cartographies complémentaires :
- l’analyse des ressources humaines et compétences disponibles,
- la formalisation des processus existants via matrices RACI et l’identification des flux et points de friction,
- la segmentation des dépenses avec les volumes, fournisseurs et échéances contractuelles,
- l’inventaire des outils utilisés (SAGE, MFILES, QlikSense) avec l’évaluation de leur couverture fonctionnelle,
- et le recensement des procédures formalisées avec l’évaluation des risques de non-conformité.
Ce diagnostic complet a permis d’identifier les leviers d’amélioration prioritaires.
Phase 2 : Définition de l’organisation cible (Novembre 2023 – Janvier 2024)
L’organisation achats à déployer sur les 2-3 années suivantes a été conçue en deux mois autour de 11 fiches à enjeux, réparties en 4 piliers :
- Organigramme et structure (gestion des achats, filières, nomenclature),
- Ressources humaines (dimensionnement, agents, pilotage, communication),
- Management et outils (gouvernance, SI-achats, indicateurs de pilotage)
- Performance (Plan d’Action Achats (PAA)).
Chaque dispositif opérationnel a fait l’objet de groupes de réflexion associant les achats, les directions fonctionnelles, les prescripteurs et la cellule marchés publics. Cette approche participative visait à garantir l’appropriation des transformations par les équipes opérationnelles. Cette phase s’est concrétisée par la production de 11 fiches structurantes, d’un planning de déploiement et d’une évaluation des impacts organisationnels.
Phase 3 : Accompagnement opérationnel au déploiement (Janvier – Décembre 2024)
La mise en œuvre concrète des changements organisationnels et méthodologiques s’est étalée sur 12 mois. Sur les 11 chantiers identifiés, 5 thématiques emblématiques ont été priorisées pour l’année 2024 :
- Définition et validation de la politique achat,
- Déploiement des indicateurs de pilotage,
- Elaboration du Plan d’Action Achats,
- Formalisation des procédures achats et
- Structuration des instances de gouvernance.
L’accompagnement s’est caractérisé par un appui opérationnel rapproché, un transfert de compétences aux opérationnels, des ajustements au fil de l’eau et un suivi mensuel de l’avancement.
CINQ THÉMATIQUES EMBLÉMATIQUES DE RESTRUCTURATION
Les mesures prioritaires du déploiement 2024
Parmi les 11 chantiers structurants identifiés, cinq actions emblématiques ont été priorisées pour l’année 2024. Ces leviers structurent en profondeur la fonction achats et impactent directement le quotidien opérationnel des personnels.
Action 1 : Définir et valider la politique achat
L’absence de politique achats formalisée entraînait une hétérogénéité des priorités entre les équipes dirigeantes et complexifiait les arbitrages en cas de demandes concurrentes. La formalisation d’une politique achats validée par la Direction Générale permet d’établir un référentiel commun pour l’ensemble de l’établissement et d’assurer la cohérence avec le projet d’établissement 2024-2028.
La politique achats est élaborée à partir de trois sources : le plan stratégique, les politiques des centrales d’achats (DCPA) et les objectifs de la Direction de la Commande Publique et des Achats. Des ateliers de co-construction avec le pilotage opérationnel permettent de partager les enjeux et de rechercher des consensus sur les priorités. Le document final a été soumis à validation en COPIL et décliné en indicateurs de suivi.
Action 2 : Déployer les indicateurs de pilotage achats
Sans tableau de bord, le service achats rencontrait des difficultés à objectiver ses résultats et à répondre aux sollicitations de la Direction Générale par des données factuelles. L’établissement a cadré un système d’indicateurs organisé selon six dimensions : performance, gouvernance, processus, ressources humaines, satisfaction et responsabilité sociétale.
Les indicateurs ont été sélectionnés à partir de ceux produits lors du diagnostic et de ceux classiquement utilisés en achats hospitaliers. Pour chaque indicateur, les sources de données ont été identifiées (SAGE, MFILES, QlikSense), les modalités de calcul définies et des tests de production réalisés. Le principe retenu consistait à ne sélectionner que les indicateurs effectivement productibles à partir des systèmes d’information existants. Une maquette de tableau de bord a été validée avec une mise à jour trimestrielle et une automatisation progressive via QlikSense.
Action 3 : Élaborer la feuille de route Achats
Sans feuille de route Achats, les renouvellements de marchés étaient gérés au fil de l’eau, sans priorisation ni anticipation de la charge de travail. L’établissement a identifié et planifié le dispositif opérationnel d’amélioration sur 52 segments achats prioritaires pour les 2-3 prochaines années.
La démarche s’est déroulée en trois phases. La cartographie et priorisation a consisté à analyser les dépenses par segment, croiser avec les échéances contractuelles et établir une matrice de priorisation. Les 52 segments identifiés ont été répartis par famille : achats médicaux Soins, achats médicaux Labo, achats non médicaux, achats techniques et biomédical. Des ateliers thématiques ont ensuite associé acheteurs et prescripteurs pour identifier les leviers à activer et définir les mesures concrètes.
Trois types de leviers ont été systématiquement explorés :
- les opérations sur les prix (mise en concurrence, négociation),
- les tâches sur les spécifications (standardisation, révision des cahiers des charges)
- et le contrôle d’exécution (suivi des indicateurs fournisseurs, contrôle des consommations).
La planification finale a priorisé les actions selon les enjeux et efforts, intégré le planning de renouvellement des marchés et affecté les ressources sur un horizon 2024-2027.
Action 4 : Formaliser les procédures achats hospitalières
L’hétérogénéité des pratiques entre acheteurs, la formation informelle des nouveaux collaborateurs et l’exposition à des risques juridiques ont motivé la formalisation des procédures achats.
Huit étapes du processus achats ont été documentées :
- Analyser le besoin achat,
- Analyser l’offre fournisseur,
- Définir la stratégie d’achat,
- Rédiger le DCE et le publier,
- Sélectionner les offres et attribuer,
- Exécuter le marché,
- Gérer les marchés en centrale d’achat,
- Evaluer et suivre la performance.
Pour chaque étape, un kit opérationnel a été élaboré :
- Logigramme des tâches,
- Matrice RACI,
- Description détaillée des activités,
- Templates de documents (CCTP, RAO, grilles d’analyse)
- Outils SI à utiliser.
Les procédures ont été construites en ateliers avec les acheteurs pour capturer les pratiques existantes, puis consolidées et validées par la cellule marchés publics.
Action 5 : Structurer la gouvernance achats
Les décisions prises au fil de l’eau et le manque de coordination ont conduit à la structuration de six instances de gouvernance organisées selon trois niveaux.
- Niveau opérationnel (mensuel) : revue d’activité achats et approvisionnements. Pour le suivi des consultations et le comité des acheteurs pour le partage de bonnes pratiques entre filières.
- Niveau tactique (trimestriel) : revue achats de filière. Pour suivre l’avancement du PAA avec les prescripteurs et la revue de performance achats pour analyser les indicateurs avec le management fonctionnel.
- Niveau stratégique (semestriel/annuel) : revue achats de l’établissement associant la Direction Générale. Pour les bilans et orientations, ainsi que les revues fournisseurs avec les partenaires stratégiques pour évaluer la performance et identifier les opportunités d’innovation.
RÉSULTATS DE LA RESTRUCTURATION
Les transformations structurelles obtenues
De l’éclatement à la centralisation
La transformation de la fonction achats de l’IPC se caractérise par trois évolutions structurelles majeures.
L’organisation achats, initialement éclatée entre trois gouvernances opérant de manière autonome : la DSIO pour l’informatique, la DST pour les achats techniques et travaux, la Dir. Achats pour les achats médicaux. Evolution vers une structure centralisée permettant une vision consolidée des dépenses et une coordination renforcée du management fonctionnel.
Les processus achats, auparavant non documentés et variant d’un acheteur à l’autre, sont désormais formalisés à travers huit procédures spécifiques. Chaque procédure détaille les étapes du processus achats, les responsabilités de chaque acteur via des matrices RACI. Et fournit les templates nécessaires à la mise en œuvre. Cette formalisation sécurise la conformité réglementaire et homogénéise les pratiques au sein de l’établissement.
Le pilotage de la fonction s’appuie aujourd’hui sur un système d’indicateurs organisés selon six dimensions :
- Performance,
- Gouvernance,
- Processus,
- Ressources humaines,
- Satisfaction,
- Responsabilité sociétale.
Ce dispositif permet à la Direction de la Commande Publique et des Achats de mesurer ses résultats, d’identifier les axes d’amélioration et de répondre aux sollicitations de la gouvernance générale avec des données factuelles.
Une gouvernance structurée
La mise en place de six instances de gouvernance sur trois niveaux (opérationnel, tactique, stratégique) a transformé le mode de pilotage de la fonction achats.
Les décisions, auparavant prises au fil de l’eau sans traçabilité, font désormais l’objet de revues régulières associant les parties prenantes concernées. Cette structuration facilite la coordination entre les Achats et les directions fonctionnelles. Elle renforce le dialogue avec les prescripteurs et améliore le suivi des actions de la feuille de route Achats.
Une feuille de route pluriannuelle
L’élaboration du Plan d’Action Achats (PAA) sur 52 segments prioritaires fournit une vision claire des leviers à activer sur l’horizon 2024-2027.
Cette planification permet d’anticiper les renouvellements de marchés. Egalement de prioriser les actions selon leurs enjeux et d’affecter les ressources en conséquence. Les leviers d’amélioration identifiés (chantiers sur les prix, les spécifications et le contrôle d’exécution) orientent désormais les travaux de la Dir. de la Commande Publique et des Achats au-delà de la simple gestion administrative des marchés.
Des bénéfices pour l’établissement
La restructuration de la fonction achats apporte des bénéfices qualitatifs à l’ensemble de l’établissement.
Du point de vue de la Direction Générale, elle offre une visibilité accrue sur les dépenses et la performance achats. Ainsi qu’une capacité de pilotage stratégique renforcée.
Du côté des gouvernances opérationnelles et les prescripteurs, elle clarifie les rôles et responsabilités dans le processus achats. Et structure le dialogue autour des besoins métiers.
Pour la Direction de la Commande Publique et des Achats elle-même, elle légitime la fonction, professionnalise les équipes. Tout en fournissant les outils nécessaires à la montée en compétences progressive.

FACTEURS CLÉS DE SUCCÈS
Les conditions de réussite identifiées
L’analyse du projet de restructuration de la fonction achats de l’IPC permet d’identifier quatre facteurs déterminants pour la réussite d’une telle mutation.
L’implication des acteurs constitue le premier facteur de succès. La participation active des utilisateurs finaux, des prescripteurs, des responsables de secteurs fonctionnels, des acheteurs et des approvisionneurs s’est révélée indispensable à chaque étape du plan stratégique.
Les ateliers de co-construction organisés dès la phase de diagnostic ont permis de capter les pratiques existantes. En identifiant également les points de friction et de concevoir des solutions adaptées aux réalités opérationnelles. Cette approche participative a facilité l’appropriation des changements par les personnels.
La disponibilité et la fiabilité des données achats représentent le deuxième facteur clé. La réalisation des cartographies achats et approvisionnements a nécessité un travail significatif de fiabilisation des données issues des systèmes d’information (SAGE, MFILES, QlikSense). Sans données de qualité, l’élaboration du diagnostic, la priorisation des segments achats et la construction du tableau de bord auraient été impossibles.
Le soutien de l’instance dirigeante a constitué le troisième facteur déterminant. Leur implication dans les instances de pilotage et leur validation des orientations stratégiques ont conféré la légitimité nécessaire aux équipes achats. Elles ont pu mener les transformations et obtenir l’adhésion des autres chefferies fonctionnelles.
Le pilotage rigoureux du projet par la Direction de la Commande Publique et des Achats et les responsables des directions fonctionnelles a enfin permis de maintenir le cap sur les 18 mois du projet. En arbitrant les difficultés rencontrées et ajustant le planning de déploiement en fonction des contraintes opérationnelles.

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Perspectives et enseignements
La restructuration de la fonction achats de l’IPC illustre qu’une évolution en profondeur nécessite une approche méthodique articulée autour de trois phases :
- Diagnostic approfondi,
- Définition d’une organisation cible et
- Accompagnement opérationnel au déploiement.
Les 18 mois de projet ont permis de poser les fondations d’une fonction achats professionnelle structurée autour d’une stratégie formalisée, de processus documentés et d’un pilotage outillé.
La transformation se poursuit avec le déploiement du Plan d’Action Achats, la montée en compétences continue des équipes et l’optimisation progressive des outils SI.



